Father, Son and House of Clichés

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House of Gucci est le second film réalisé par Ridley Scott sorti en 2021 après le drame médiéval The Last Duel.

Malgré un casting exceptionnel et des costumes d’époque, le long-métrage réduit à la farce une histoire unique et tragique. Les scènes iconiques que promettaient les vidéos TikTok qui circulaient sur les réseaux plusieurs semaines avant la sortie du film (« Father, Son and House of Gucci » mais également le « I don’t consider myself a particularly ethical person but I am fair « ) sont finalement noyées dans un film trop long (plus de deux heures), confus et beaucoup trop plat.

House of Gucci est basé sur le livre éponyme de Sara Gay Forden. Si l’œuvre originale arrive parfaitement à retranscrire les faits, l’adaptation cinématographique est simpliste et le spectateur doit se contenter d’une version caricaturale d’une affaire qui a effectivement réuni « la mode, la cupidité et le crime », comme l’affirme le texte de couverture du livre, et qui a été pour les Italiens, un fait divers certes, mais surtout une épopée nationale.

Anthony Oliver Scott soutient dans le New York Times que la chose la plus gentille et en même temps la plus cruelle que l’on puisse dire de House of Gucci est qu’il aurait dû être un film italien mais qu’au lieu de cela c’est un film américain avec des acteurs américains, quoique très bons, qui, même lorsqu’ils sont d’origine italienne, échouent de manière spectaculaire à avoir l’air, inutile de le dire, italiens. Lady Gaga a passé des mois à étudier et à perfectionner son accent avec pour résultat de sonner russe tout au long du film, tandis qu’Al Pacino lâche « Buonasera » (« Bonsoir ») au lieu de “Buongiorno” (« Bonjour ») et visiblement personne n’a eu le courage de le corriger (le film contient beaucoup d’autres erreurs, notamment l’apparition d’un exemplaire de Il Foglio, un quotidien milanais, entre les mains de Maurizio Gucci alors que le journal n’avait pas encore été fondé).

La question doit donc être posée : pourquoi ne pas avoir laissé les acteurs jouer en anglais, comme dans Le Dernier Duel ? Les Américains ont-ils besoin d’entendre un accent différent du leur pour comprendre qu’une intrigue ne se déroule pas aux États-Unis ? Contrairement à ce que Scott pense manifestement, il faut arrêter de prendre les spectateurs pour des ignorants et réaliser un film en langue anglaise sur une famille aussi italienne que possible, pour autant qu’elle soit bien interprétée. Au lieu de cela, le public se contente de Jared Leto, incarnant le rôle de Paolo Gucci, méconnaissable sous des couches de maquillage, qui est tellement excessif dans sa volonté de ressembler à un italien, avec sa gesticulation frénétique des mains, les grimaces, la cadence pleurnicharde, qu’il en devient insupportable.

Il est évident de voir dans le film le regard américain, hollywoodien, sur tout ce qui n’est pas américain. En d’autres termes, la glamourisation forcée qui était également présente dans tous les grands films mettant en scène des Italo-américains, en particulier ceux qui ont élevé les mafieux au rang d’icônes de l’honneur et du style aux yeux du monde (une malédiction dont les italiens ne se sont toujours pas débarrassés), à la seule différence que ceux-ci, au moins, étaient de grands films, et que celui-ci ne l’est pas, malgré les costumes d’archives, mis à disposition par Gucci, le réalisateur et les acteurs de premier ordre (mention spéciale à Lady Gaga qui prouve une fois de plus être une brillante actrice).

L’épopée de 158 minutes peine à avancer et se concentre sur des détails futiles, comme la présence de Camille Cottin, qui cherche visiblement à trouver une place sur le marché hollywoodien, incarnant le rôle de la maîtresse de Maurizio Gucci. Bien au-delà, le film n’insiste pas sur l’arrestation de Patrizia Reggiani, dans son iconique manteau de vison, ne mentionne pas non plus son séjour à San Vittore, prison en plein cœur de Milan, qu’elle a rebaptisée Victor’s Residence et où elle a remplacé les visites familiales par des rendez-vous chez l’esthéticienne et le coiffeur, parce que de toute façon personne dans sa famille ne voulait rien savoir d’elle.

Mais surtout il n’y a pas cette emphase sur le drame familial des riches, aussi bien ceux qui le sont par naissance que ceux qui le sont devenus par mariage, et les querelles d’héritage et la présence incessante du fisc, qui sont également visibles, ne suffisent pas à rendre la matière humaine complexe. Alors que la magicienne Salma Hayek/Pina Auriemma est une image que l’on aurait envie d’effacer (mais après tout elle est bien l’épouse de François-Henri Pinault, propriétaire de la marque Gucci), les histoires des exécuteurs matériels Benedetto Ceraulo et Orazio Cicala restent légèrement évoquées, bien qu’elles auraient ajouté un autre niveau de surréalisme à l’histoire. La représentation d’une montée au pouvoir vouée à la tragédie, rappelant les grandes œuvres de Brian De Palma et de Francis Ford Coppola, est un immense échec.

Sara Karim

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