Trois courts-métrages pour vivre l’horreur autrement

Parce que j’ai longtemps résumé les films d’Halloween à une tronçonneuse, deux citrouilles et une fin tragique, j’ai malheureusement peu de références en la matière. Mais cette fête est sacrée, et je ne veux manquer sous aucun prétexte une occasion de manger du sucre. J’ai donc opté pour une autre option : celle de Regina George dans Lolita Malgré Moi. La tenue de lapin sexy plutôt que la sorcière laide, l’épouvante et la métaphore plutôt que le gore, et surtout, un destin tragique abrégé en 20 minutes. En somme, se faire peur mais pas trop.

Le court métrage semblait donc d’avantage s’adapter à la soirée d’Halloween de mes rêves : des films en tout genre, du fantastique à la science-fiction, à enchaîner comme on enchaîne des contes, et qui, pendant quelques minutes, transmettent l’atmosphère recherchée. Parmi ceux que j’ai pu voir, j’en retiendrai donc trois, où l’esthétisme d’Halloween sert des sujets à la fois métaphysiques et sociétaux. Parce qu’on a dit qu’à Halloween on ne se marrait pas.

Stucco, Janina Gavankar, 2019

Dans Stucco, une femme emménage dans une nouvelle maison de laquelle elle ne veut pas sortir. En tentant d’accrocher un tableau, elle abîme son mur. La fissure évolue, s’agrandit, vibre, remue et respire, mais notre héroïne ne semble pas s’inquiéter plus que ça. Elle l’observe, se demande ce qui se cache derrière, mais reste cependant cloîtrée chez elle, et s’endort près du mystérieux mur tous les soirs. Jusqu’au soir où, la fissure, béante, cède totalement.

Dans ce film, le spectateur est perplexe face au calme dont le personnage fait preuve devant ce mur, alors qu’il semble pétrifié à l’idée de sortir. Que représente donc ce trou ? La peur d’aller dehors, l’allégorie-même de la dépression, qui ronge et s’installe calmement dans une maison, et dans laquelle on aime parfois s’installer et se complaire, une sorte de monstre charmant auquel on s’est accommodé. Si la métaphore est facile, l’intelligence de la réalisatrice réside ici dans le détournement du film d’horreur : l’héroïne ne fuit pas le fantastique, elle est intriguée par lui, elle le fantasme. L’action se déroule dans cet espace restreint, entre le couloir et la chambre à coucher, avec des rideaux fermés qui plongent la maison dans une atmosphère mi-angoissante, mi-intimiste. Entre peur et fascination, entre grouillements et slow sensuel, la complexité du rapport à sa propre angoisse est ici brillamment imagée.

À voir sur youtube gratuitement (en VO sans sous-titres, mais on comprend aisément sans les paroles)

Dernière porte au sud, Sasha Feiner, 2015

LAST DOOR SOUTH by Sacha Feiner @ Brooklyn Film Festival

Tim Burton l’a bien montré, le carton pâte avec des personnages touchants au corps disproportionné, le tout en noir et blanc, ça fait son effet. Dernière porte sud est une adaptation d’une bande dessinée du dessinateur Foester, dont le style horrifique dépeint ici le quotidien d’un enfant, qui, si on omet les fenêtres murées, et la deuxième tête, est un enfant comme tout le monde. Dans un manoir immense, il passe ses journées entre exploration de nouvelles pièces, cours dispensés par maman, visite au mausolée « du papa » et toutes les questions qu’un enfant de son âge est en droit de se poser.

Un dialogue interne ponctué de questions innocentes, des voix déformées, des murs qui tremblent aux fils des émotions – le point de vue de l’enfant est particulièrement bien rendu dans ce court métrage qui pose la question métaphysique par excellence : qu’est-ce que ? Qu’est-ce que le monde ? la mort ? la vérité ? Au-delà de la performance des marionnettistes, tout nous touche dans ce film, de ce lien qui lie le personnage à son frère siamois à la voix cassée du narrateur qui cherche à savoir ce qu’on lui cache. Ce court métrage est sûrement mon préféré, je le place donc en deuxième très égoïstement, car il est si bouleversant qu’il est difficile de passer à un autre conte quand le générique interprété par Berte Sylva vient clore cette sombre quête de vérité.

Disponible sur Shadowz (VF)

The Substitute, Nathan Hughes Berry, 2015

Une jeune professeure est mutée dans un nouvel établissement. Lors de la visite, le proviseur ne lui parle que des garçons dont elle doit s’occuper, elle comprend pourtant qu’il y a également des filles. Vient alors le premier cours : chaque fille est assise à côté d’un garçon. Elles sont discrètes, les garçons sont bavards, elles baissent les yeux quand les garçons lèvent le doigt pour participer, et inclinent leur tête encore plus bas quand c’est la main des garçons qui se lève pour se poser fermement sur leur genou. Dans cette classe, ce sont les hommes qui font la loi, pourtant, le professeur est une femme.

Un parquet grinçant, des tables en bois qui craquent, une musique lancinante, des cris étouffés, des filles qui courent nues dans la cour, sont-ce là les éléments les plus terrifiants de ce thriller palpitant ? Par bien d’autres aspects, l’univers dystopique que met en place Hughes Berry dérange. Nous sommes dérangés parce que nous sommes concernés. La classe, les rapports hommes, femmes, nous connaissons tous. Des sujets médiatisés et intemporels. Mais ici les rapports de force sont poussés à leur paroxysme, ce n’est plus un cours, c’est une véritable lutte faite de gros plans serrés et de silence, entre deux clans : les femmes et les hommes, entre un professeur et ses élèves. La ruse et la séduction de l’héroïne prolongent l’intrigue qui trouve un dénouement très surprenant. Ce court-métrage dénonce la tyrannie du plus fort qui règne dans les vielles institutions poussiéreuses, et le choix de l’oppresseur n’est sûrement pas anodin. Parce que parfois, il suffit de faire un bond de cinquante ans en arrière pour avoir le sang glacé.

Disponible gratuitement sur le site du réalisateur (VO avec sous-titres anglais)

Mathilde Mégret

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