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Thomas Salvador revient avec un nouveau long-métrage. Après Vincent n’a pas d’écailles en 2014, le réalisateur nous livre un projet dont le synopsis pourrait se résumer en une simple phrase : Pierre est parisien et lors d’un séjour professionnel à Courchevel, il décide de partir dans la montagne pour l’explorer. En somme, une situation de départ simple, peut-être trop simple.

Le film est marqué par une forme de facilité. Le personnage de Pierre prend décisions après décisions et rien ne semble le freiner dans son aventure, toute la narration se déploie l’air de rien. On a ici le premier sentiment que peut nous inspirer le film, le rapport naturel entre Pierre et la montagne, cette montagne. La caméra se met logiquement au service du récit : la mise en scène est sobre, fluide, tranquille car ici rien n’est compliqué. Pierre ne s’est pas posé de questions lorsqu’il a pris la décision de partir grimper les versants alpins ; pourquoi la mise en scène devrait-elle alors se faire plus complexe que la relation établie entre Pierre et cette montagne ? Cette simplicité omniprésente se traduit également par les rares répliques du film de Salvador. Tout ce qui est ressenti par le personnage de Pierre est simple, les mots n’ont que peu leur place, le langage comme traduction de nos sentiments se fait aussi présent qu’il est nécessaire.
Prenons le film pour ce qu’il montre. Si cette relation harmonieuse est magnifique et parfaitement filmée par Salvador, il demeure un arrière-goût. Pierre semble être ingénieur, sans doute cadre, pour une société de high-tech. Il est parisien et plutôt aisé. Lorsqu’il fait ses achats pour l’alpinisme, il prend ce qu’il y a de meilleur sans la moindre contrainte et finalement il se fait renvoyer de son poste sans la moindre inquiétude. Le reproche est facile mais nécessaire : ce film constitue un fétichisme de la montagne, si ce n’est de la nature, par le citadin qui a fait des études. Le pauvre homme, enfermé dans des tours d’aciers et de béton, cherche à se reconnecter. Pierre voit la montagne et il est sous le choc. Cette réaction laisse songeur quant à l’intention première du réalisateur, même si celui-ci a pratiqué l’alpinisme dans sa jeunesse. La montagne est aussi sale, polluée par la pratique touristique et même si la question écologique est traitée dans ses dimensions macro et ses conséquences directes sur le paysage montagneux, il y a tout une réalité qui n’est pas montrée. On pourra interpréter son départ de la montagne à la fin de différentes manières, on serait tenté de voir l’usage utilitariste de la nature. Il vient et repart sur une courte période, le temps de soigner sa crise existentielle, une vision consumériste du monde. Bref, rien de nouveau dans les représentations cinématographiques.

On pourrait s’appesantir sur le profil sociologique de Pierre mais ce serait faire une injustice au film. Après être sorti de la séance, l’une des choses qui nous reste à l’esprit, c’est la solitude du personnage. Pierre est profondément seul. La solitude est voulue par le personnage, on a beau le voir avec sa famille, un guide de haute montagne ou encore le personnage de Louise Bourgoin… À partir du moment où il décide de partir : c’est l’ostracisme qu’il choisit. Ici, l’isolement prend la forme de la liberté. Les autres, ceux d’en bas, sont vécus comme des contraintes dont il se détache au maximum, seule compte la montagne. Son frère est un bon exemple tant il illustre l’extérieur qui lui demande de se ressaisir et d’accepter les contraintes de la vie humaine. Pierre est donc un homme qui a recouvré la liberté et ce que l’on sent, c’est l’apaisement. Il y a quelque chose d’assez désespérant dans la vision du monde que nous propose Thomas Salvador. Il nous demande d’accepter que ceux qui nous entourent, qu’on est supposé apprécier et aimer sont une source d’étouffement, avec le personnage de Pierre qui trouve le remède en allant chercher un autre air, celui de la montagne.
Ce désespoir que travaille Thomas Salvador dans son film vaut aussi pour le traitement de la question climatique. Avec un seul plan, le réalisateur nous montre toute l’ampleur du crime commis par l’homme. La nature, ici la montagne, s’effondre littéralement sous nos yeux et ceux de Pierre. L’effondrement de la montagne est un abîme dont personne ne peut réellement se remettre. Ce qui semblait et devait être immortel, survivre à nous et à plusieurs générations, disparaît sous nos yeux dans le temps de nos courtes vies. C’est un coup de maître de Salvador. Le personnage de Pierre qui vient d’entamer une relation amoureuse avec la montagne ne peut faire qu’une chose tant il est impuissant, aller au lieu de l’éboulement et être présent.

On ne peut pas passer à côté de la dimension fantastique du film. La relation qui lie Pierre et la Montagne est sans doute assez unique, il n’y avait qu’une forme de magie pour pouvoir illustrer la fusion sentimentale de ces deux entités. Salvador se plaît à nous montrer les petites créatures pierreuses qu’il a imaginées, il joue sur nos imaginaires en donnant vie à la montagne. Le merveilleux nous prend par les émotions. Vient le moment où Pierre finit par littéralement entrer en fusion avec la montagne, comme si cette rencontre devait nécessairement le changer pour le restant de ses jours. De cette fusion, il garde un bras lumineux comme lègue de la magie dont il a été le témoin pendant tout son périple alpin. Ce bras lumineux donne des scènes assez unique, comme celle où il couche avec la cheffe du restaurant et son bras éclaire la pièce plongée dans le noir. Idée simple mais particulièrement efficace.
En somme, le second long-métrage de Thomas Salvador n’est pas une révolution mais une source folle d’idées de cinéma, à laquelle on peut ajouter une fascination pour l’univers qu’il déploie si aisément.
Julien Mauricio