L’Immensita : portrait d’une pureté meurtrie

Cela fait trois fois que j’essaye d’aller voir ce film et à chaque fois un événement de dernière minute me pousse à annuler mon billet, la quatrième a l’air d’être la bonne. En chemin vers le cinéma je me réjouis déjà, autant amoureuse de Rome qu’admirative de Penelope Cruz, je suis curieuse de découvrir le petit dernier d’Emanuele Crialese qui m’avait impressionné par sa capacité à magnifier l’authentique réalité, aussi douloureuse soit elle, dans Terraferma réalisé en 2012. 

Évidemment, j’arrive en retard et c’est le nez encore rougi par le froid que je découvre la scène d’ouverture de l’Immensita qui me réchauffe instantanément le cœur. Un enfant regardant éperdument le ciel en réclamant un signe, sincèrement convaincu que s’il y a des réponses à ses questions, elles ne peuvent venir de la réalité qui l’entoure. C’est peut être ce qui résume le mieux ce morceau de vie qu’a voulu illustrer Emanuele Crialese fortement inspiré par sa propre histoire : l’imagination d’une âme innocente souffrant d’un quotidien rendu terne par la lassitude. 

Il est facile de se laisser séduire dès le départ par la magnifique mise en scène de cette famille nucléaire aux apparences fonctionnelles dans les années 70 à Rome. Après quelques brèves minutes, la maman, Clara, interprétée par Penelope Cruz, apparaît à l’écran les yeux humides et habités par une profonde tristesse. Il ne m’a fallu que quelques secondes pour comprendre que c’est l’histoire de cette femme qui va me bouleverser. Alors qu’aucune phrase n’est sortie de sa bouche, le spectateur arrive à lire la tendre détresse sur son visage témoignant encore une fois du talent incontestable de Penelope Cruz, pas des moins déstabilisée par un jeu en italien qu’elle maniera délicatement tout le long du film. Bien sûr, chaque personnage du film étant brillamment développé il conviendrait d’écrire longuement sur chacun d’eux. Mais ce portrait de femme offert part le personnage de Clara m’est apparu comme le coeur battant, bien qu’essoufflé, du film. Même si le destin d’Adriana, que l’on peut qualifier de personnage principal, qui souffre de se sentir garçon dans un monde qui la qualifie de fille, attendrit bien sûr le spectateur. 

Clara est une mère que la vie semble en apparence avoir gâtée : trois beaux enfants soudés et affectueux, un appartement avec une vue panoramique sur Rome, un salon décoré des plus belles pièces de designers italiens, un mari aux allures d’égérie de Loro Piana, une garde robe faisant trembler Vogue Magazine et une Fiat 500 rutilante lui permettant de flâner entre le coiffeur, les enfants et la maison de famille au bord de mer. Les critiques sont prévisibles : encore un film sur les souffrances d’une famille de privilégiés détachée de réels enjeux sociaux au rythme lent comme pour étaler la richesse de ses personnages. Non, il ne s’agit pas de cela. Emanuele Crialese capture à l’écran l’atmosphère anxiogène d’une prison dorée sans barreau. Cela étant dit, j’espère que nombreux seront les spectateurs qui l’oublieront et franchiront le pas d’aller le voir au cinéma.

Le réalisateur ne semble pas vouloir faire passer de message, c’est d’ailleurs ce qui avait participé à la beauté de son précédent film Terraferma, déjà mentionné, prôné pour sa justesse. Non, il ne s’agit pas de faire un film sur le transsexualisme, ou sur la transidentité; je suis partagée entre dire que c’est plus léger ou paradoxalement plus profond que cela. 

En réalité, c’est un film sur la persécution discrète mais profonde des esprits libres. En premier lieu de ce jeune enfant née Adriana et fille mais qui se reconnaît plus dans l’identité qu’elle se bâtit en tant que garçon sous le nom d’Andrea. Ensuite, de la maman, Clara, face au conflit identitaire de son enfant. Elle adopte une attitude remplie d’affection mais aussi d’indifférence, peu lui importe au final. Elle ne lui impose rien, pourquoi le ferait-t-elle ? Elle-même souffre de cette attente constante de la part des adultes autour d’elle d’une normalité dont les contours semblent contradictoires. Clara pleure au cinéma devant ses enfants sans que la honte de la vulnérabilité lui effleure l’esprit, Clara ne leur met pas de claque et opte pour les arroser d’eau froide en riant avec eux en guise de punition, Clara s’ennuie aux côtés des adultes pendant le repas de Noël et se plaît plus à jouer avec les petits, Clara préfère mettre la table en chantant et dansant que s’assurer que les couteaux soient bien à droite…

Cette douce sensibilité fait difficilement face à la brutale banalité de son fanfaron de mari, insensible au concept de fidélité, probablement déstabilisé par un complexe d’infériorité face à la beauté écrasante de sa femme et conforté par des mœurs permissives d’une attitude machiste. Pour son mari la vulnérabilité de Clara dérange, sa sensibilité l’irrite, son innocence l’agace et sa liberté le déconcerte. Alors que fait un homme désemparé de ne pas comprendre sa femme qu’il est lâchement facile de qualifier de “compliquée” ? Par paresse ou stupidité, l’option la plus simple est de la punir et l’outil le plus redoutablement discret est la culpabilisation. Clara ne cherche pas à être heureuse de manière superficielle mais ne se complaît pas dans le malheur, elle reste simplement la plus fidèle à la pureté de ses émotions. Cette spontanéité ne peut s’épanouir dans le climat d’insatisfaction instauré par son mari obsédé par la poursuite de la norme. Si de nombreuses femmes ont subi le quotidien de Clara, c’est les yeux remplis d’espoir que j’ai regardé évoluer le personnage d’Andrea, lui imaginant un futur dans lequel il serait simple de vivre au rythme de son cœur et profiter du vent de liberté que sa mère a quand même réussi à insuffler à ses enfants. 

Puis le générique de fin apparaît. Une discrète larme se loge dans mon œil droit que je laisse couler un sourire aux lèvres, réalisant que pendant une heure et trente sept minutes mon âme d’enfant s’est égarée à retrouver en Clara un peu, même beaucoup, de ma grand mère. Si certains points communs sont douloureux, je préfère quitter la salle en retenant le plus léger, cet accent espagnol chantant ayant bercé mon enfance. 

Clarisse R. 

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