Blonde : Voyage au bout de l’enfer

Ceux qui s’attendaient à un biopic ont du être déçus. Blonde, disponible depuis hier sur Netflix, est en effet une adaptation du roman éponyme de l’immense Joyce Carol Oates, lui-même largement inspiré de la vie de Marilyn Monroe, mais en grande partie fictif. Sur cette base, créative donc, Andrew Dominik construit un grand film malade, 2h45 de pure folie, aussi bien formelle que narrative.

Blonde est un drame, un récit initiatique, un thriller, un pamphlet mais aussi un film d’horreur. La force d’Andrew Dominik est de réussir à faire cohabiter tous ses films dans un seul long-métrage, qui ressemble à s’y méprendre à un caprice d’artiste, mais qui trahit en fait les obsessions folles du réalisateur pour cette trajectoire fulgurante et sombre. Le film, qui transpire le 7ème art, met aussi en lumière l’amour de Marilyn pour le cinéma, amour qui ne lui sera jamais rendu par la profession. Maltraitée par ses semblables, chosifiée par ses pairs, Norma Jean s’est battue toute sa vie contre Marilyn, son alter ego dont elle haïssait l’existence, mais qu’elle ne pouvait que convoquer pour survivre à tout ce cirque. C’est là que tient tout le génie de Blonde, dans cette auscultation onirique et décousue de la dissociation Norma Jean/Marilyn, ce monstre de cinéma à deux têtes qui sera déprécié et utilisé à chaque instant de sa courte vie.

Comme une marionnette, Marilyn passe entre les mains des hommes, et glisse lentement vers la fin au gré des images sublimes d’Andrew Dominik, qui regarde droit dans les yeux l’horreur d’une vie volée, et laisse libre cours à son imagination dans un film protéiforme, à l’image de la vie de Marilyn. Les ratios changent constamment, le film passe allègrement du noir et blanc à la couleur, sans que Dominik se sente le besoin d’expliquer ses délires. Mais au fond qu’importe, aucune image ne se ressemble, aucun fil rouge ne se dégage, tous ses moments pourraient être des extraits de différents films de Monroe, ou des photographies qui prennent vie, comme les témoins privilégiés du périple sensoriel de l’actrice la plus connue au monde. Blonde se vit comme une expérience, une perpétuelle descente aux enfers, celle d’une actrice qui n’aura été qu’un objet pour beaucoup, manipulée et utilisée au profit de l’appétit des hommes et du public.

Blonde est une petite révolution dans le genre du biopic, dont il endosse le costume pour mieux le détourner, soucieux de la démesure et adepte du baroque pour mieux percer à jour la psyché complexe d’une icône dont la vie n’eut de réalité que sur pellicule pour beaucoup. Andrew Dominik tord cette figure dans tous les sens, et s’autorise toutes les outrances pour détruire la moindre ambition biographique. Porté l’incroyable BO de Nick Cave et Warren Ellis, Blonde est un voyage épuisant, dont on ne ressort pas indemne, un grand film schizophrène porté par une Ana de Armas incandescente, dont les images vous hantent longtemps après le visionnage. Un film qui ne sacrifie rien de ses ambitions, pour sublimer la chute de Marilyn Monroe, et faire émerger sa lumière de la crasse. Peut-être le meilleur film de l’année.

Mathias Chouvier

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