Le cinéma, outil historique de propagande

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Certains la nomment « l’approche de Leni Riefenstahl », aussi connue sous le nom de la « cinéaste d’Hitler »[1]. Elle filme l’Allemagne nazie pour le monde, elle réalise de grands films de propagande, et est notamment reconnue pour son documentaire sur les Jeux Olympiques de 1936. Dominik Manns analyse son œuvre et la portée de son travail comme donnant aux Jeux Olympiques leur rôle déterminant dans l’effort de guerre[2]. L’effort de guerre est ainsi un exemple classique du rôle du cinéma dans les relations internationales (§1) ; mais, au-delà du soutien aux troupes, le cinéma semble parfois se transformer en une véritable « fabrique du consentement ».[3] (§2)

§1 – L’effort de guerre et le cinéma : un exemple classique du rôle du cinéma dans les relations internationales

La production cinématographique entre 1914 et 1945 est l’illustration parfaite du rôle du cinéma dans l’effort de guerre. Soutenir les troupes se manifeste par la production cinématographique qui a alors pour ambition de remobiliser l’opinion (A) ; mais la propagande et le rôle du cinéma ne s’arrêtent pas après 1945. La Guerre Froide et même divers conflits plus récents sont l’illustration d’une forme nouvelle de propagande au cinéma (B). 

A. La production cinématographique, entre participation à l’effort de guerre et endoctrinement

Il y a « un mariage de raison entre Hollywood et le Pentagone »[4]. Ce constat est même une évidence au regard de la production de Fairbanks, Chaplin ou Capra durant la Seconde Guerre mondiale. L’objectif est de mobiliser les esprits et les troupes. Ainsi, au cinéma tous les moyens sont bons pour créer « un consensus national »[5]. C’est Roosevelt qui consacre ce statut à Hollywood. Il souligne que le cinéma est une arme de guerre puissante. Par conséquent, quand il s’agit de « Faire Bloc » en 1942[6], Capra produit de nombreux films pour former le pays à la guerre. 

Le jeu des images consiste à tourner l’ennemi en ridicule[7] ; d’un côté comme de l’autre il s’agit de déshumaniser. En effet, il est toujours plus simple de faire la guerre à des insectes[8] ou des envahisseurs animalisés[9]. La Seconde Guerre mondiale a été à l’origine de nombreux films mais la Grande Guerre a aussi connu ses productions marquantes dans le contexte des relations internationales (Charlie-Soldat en 1918 ou Civilisation en 1916, par exemple).  

Ce qui demeure marquant sur la production cinématographique portant sur la Première et sur la Seconde Guerre mondiale, ce sont les productions actuelles. Après l’endoctrinement, la mobilisation des esprits, il s’agit de romancer, de réécrire l’histoire, d’entretenir certains mythes. Parce que le cinéma c’est aussi offrir ce que l’opinion publique veut voir, et l’on retrouve la Résistance glorifiée et magnifiée. On retrouve aussi les mémoires de la Résistance dans Laissez-passer de Bertrand Tavernier (2002) ou Lucie Aubrac de Claude Berri (1997)[10]. Bien qu’il s’agisse de films de grande qualité, au casting excellent, à la musique de choix, il semblerait parfois que l’on s’éloigne de l’Histoire au profit d’une histoire romancée. Une telle analyse peut s’appliquer au Cuirassé Potemkine (1926) ou à des productions plus récentes comme Légende d’automne (1994) ou Reviens-moi (2007).

Les productions récentes sur le sujet des guerres ne se cantonnent pas à celles d’avant 1945 et parfois quand l’opinion publique désapprouve le conflit armé, le cinéma va à son encontre. Le 7ème art ne montre pas toujours « quoi penser » mais ce sur quoi il faut se concentrer[11].

B. L’effort de guerre contemporain au cinéma, une nouvelle forme de propagande

Quand le public conteste, le cinéma vient soutenir la politique extérieure de l’Etat et c’est ici que toute la logique de propagande est mise en œuvre. 

Il est possible d’analyser l’effort de guerre contemporain au cinéma par l’étude d’American Sniper (2015). Cette œuvre de C. Eastwood illustre une forme de propagande moderne. Ce film tente d’apporter une justification à la guerre d’Irak par le storytelling de l’expérience d’un « héros ». Malgré la qualité du film et le jeu d’acteur phénoménal de Bradley Cooper, c’est une manifestation du nombrilisme américain à son apogée. Il y a comme une volonté de promotion de la « guerre juste »[12] à travers un prisme étasunien. Dans un autre registre mais toujours sur les tons de propagande, Tu ne tueras point (2016) du controversé Mel Gibson est à mentionner. Ce film de propagande chrétienne sur la Seconde Guerre mondiale, gore et grandiose à la fois, illustre toute l’ambiguïté de la propagande moderne au cinéma. Avec des personnages principaux attachants, il est difficile d’avoir un regard critique surtout quand l’histoire, au-delà de la propagande militaire, fait ressortir certaines fractures sociales touchantes. Dans le même registre, nous aurions pu mentionner le très culte Full Metal Jacket de Kubrick. La dimension antimilitariste du réalisateur est évidente et pourtant comme dans Tu ne tueras point, Full Metal Jacket montre une descente au enfer qui à l’écran rend terriblement bien. 

Parfois les affrontements dépassent le champ de bataille et il ne s’agit plus de consentir ou non à l’affrontement armé. À l’écran, deux modèles peuvent s’affronter et le cinéma tente alors de fabriquer le consentement à une idéologie.

§2 – « La fabrique du consentement au cinéma »

L’affrontement « par procuration »[13], le clash des visions du monde se manifeste sur grand-écran. Il s’agira d’abord de répondre à la façon dont se manifeste la « propagande » au cinéma pendant la Guerre Froide (A) ; pour ensuite se concentrer sur l’exemple des super-héros au cinéma, forme de propagande des plus insidieuses que le monde moderne connaisse (B). 

A. La rivalité pendant la Guerre Froide

L’année 1947 est celle de la politique du Containement de Truman et du Kominform pour le mouvement communiste international, une scission du monde qui se traduit par des stratégies de blocs. D’un côté, on retrouve la CECA, de l’autre émerge le COMECON. Au cinéma, s’observe alors une forme de propagande idéologique pour convaincre dans cette lutte « symbolique de la pensée »[14].

The Party de Blake Edwards (1968) illustre ce constat par l’affrontement d’une vision méliorative et négative des soviétiques à travers les yeux d’un mari et de sa femme. L’idée d’un soviétique diabolique ou méchant est tenace et la dénonciation du régime communiste reste vivace aux Etats-Unis. De telles conceptions sont le résultat d’un travail bien mené et de productions chocs à l’instar de Patton (1970, Franklin J. Schaffner) ou de L’Etau d’Alfred Hitchcock. L’Etau peu réaliste pour certains[15] illustre malgré tout les tensions de l’époque. Quant aux soviétiques, le seul exemple marquant dans leur diffusion de modèle semble se retrouver dans Guerre et Paix de Bondartchouk ; une œuvre qui visait principalement à répondre à Hollywood pour ses inspirations dans la littérature russe[16].

La fabrication du consentement au cinéma ne se retrouve pas uniquement dans le cadre de la Guerre Froide. Elle reste omniprésente dans certaines œuvres populaires de notre siècle. 

B. Super-héros et propagande

Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir un sujet inhérent aux relations internationales en toile de fond d’un film pour en étudier sa portée. Il semble même que le rôle le plus insidieux du cinéma dans la matière est celui qui n’est pas détecté par le public. Dans ce registre on retrouve par exemple le Soldat d’Hivers avec la critique du Patriot Act de Bush. Il est aussi essentiel de faire mention de Black Panther remodelant le rôle de l’ONU et rappelant la nécessité d’un interventionnisme moindre pour laisser place à des Etats indépendants réglant seuls leurs maux.[17] Cette conception défendue dans le film fait écho à la politique isolationniste de l’ancien Président Trump engagée tournant 2018. [18]

Il semblerait que cette  propagande douce par les super-héros s’apparente à une forme de « séduction »,[19] projetant les aspirations du public, mystifiant certaines conceptions et faisant rayonner l’American Dream ; somme toute, les super-héros sont le reflet du soft-power étasunien. 

Manon Videau


[1] Jérôme Bimbenet, Leni Riefenstahl, La cinéaste d’Hitler, 2015

[2] Leni Riefenstahl & Georges Perec: A martial approach to the Olympic Games

Dominik Manns, dans Inflexions Volume 19, Issue 1, January 2012, pages 35 to 39

[3] Propaganda la fabrique du consentement, Arte France, 2018 (disponible sur : https://www.dailymotion.com/video/x6kqf6i

[4] Mémoire, « Cinéma et Propagande aux Etats-Unis », Novembre 2005, Christophe Collier, Isabelle Denervaud, Julie Lasne, Armelle Legoff   

[5] L’express actualité, Hollywood combine de divisions

[6] discours du président des États-Unis Franklin D. Roosevelt le 6 janvier 1942, le Victory Program « Programme pour la victoire »

[7] The Dictator, Chaplin, sortie en France 4 avril 1945

[8] Kaufmann nicht händler 1934, Kochler (court-métrage)

[9] den Störenfried, Hans Held, 1940, (dessin animé) 

[10] Les représentations successives de la Résistance dans le cinéma français Jean-François Dominé, DOSSIER  p. 41-53

[11] McCOMBS Maxwell E., SHAW Donald L., « The agenda-setting function of the mass media », Public Opinion Quaterly, vol. XXXVI, n° 2, 1972, pp. 176-187.

[12] La guerre juste au prisme de la théorie politique [en ligne] Daniel R. Brunstetter, Jean-Vincent Holeindre, Dans Raisons politiques 2012/1 (n° 45), pages 5 à 18 (disponible sur : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2012-1-page-5.htm)

[13] Défier Hollywood : la diplomatie culturelle et le cinéma à l’ère Brejnev, Andreï Kozovoï, Dans Relations internationales 2011/3 (n° 147), pages 59 à 71

[14] Ibid. 

[15] « L’Etau »Le Monde, Publié le 18 mars 1970 à 00h00 – Mis à jour le 18 mars 1970 [en ligne]

[16] Guerre et Paix (War and Peace), King Vidor

[17] D’Avengers à Black Panther : Marvel, ou la propagande positive de l’Histoire américaine ? La Rédaction | 24 février 2018

[18] Le Parisien, Isolationnisme : mais à quoi joue Donald Trump ?, Par Ronan Tésorière (@RonTesoriere), Le 11 septembre 2018 à 17h51 [en ligne] 

[19] Ph. Breton, L’Argumentation dans la communication, La découverte, 1996

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