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Il y a un peu plus d’un mois sortait Licorice Pizza, dernier long-métrage de Paul Thomas Anderson, accumulant quelques trois cent mille entrées en France. Jolie performance pour un film d’auteur, légère déception pour un tel chef-d’œuvre.
Paul Thomas Anderson a changé. Fini l’âpre génie aux histoires aussi originales que violentes, au casting sauvage de luxe, aux personnages démentiels, hallucinés et hallucinants. Licorice Pizza est un film d’amours adolescentes, thème épuisé par tous les cinémas du monde et de toutes les époques. Pourtant, Anderson, au milieu d’un Hollywood contemporain dont le succès n’a d’égal que la vanité, peint l’une des histoires les plus touchantes et enjouées de ces dix dernières années.

Gary Valentine (Cooper Hoffman) est un enfant acteur insolent et ambitieux, plein d’aplomb et d’idées d’entreprises. Alana Kane (Alana Haim) est une jeune fille au caractère bien trempé mais dont les aspirations sont plombées par un cercle familial traditionnel. Il a quinze ans mais en paraît une vingtaine. Elle en a vingt-cinq mais en paraît moins. Sans trop savoir pourquoi, Alana accepte de traîner avec Gary, ce gamin de la vallée de San Fernando, attachant quoiqu’arrogant parfois.
Paul Thomas Anderson parvient à dépeindre un amour de jeunesse sans tomber dans une bluette ou participer à la sédimentation des clichés de la comédie romantique. Son originalité commence dès le casting. Anderson confie les rôles principaux à Alana Haim, chanteuse folk avec laquelle il a réalisé plusieurs clips, et Cooper Hoffman, fils du comédien Philip Seymour Hoffman avec qui Anderson avait l’habitude de travailler (Boogie Nights, Magnolia, Punch-Drunk Love, The Master). Paul Thomas Anderson choisit ainsi des physiques atypiques, des visages dont les irrégularités recueillent toute la dualité de l’adolescence, âge résolument ingrat et éclatant, splendide et vulnérable. Devant la caméra d’un metteur en scène qui se mue pour l’occasion en chef opérateur, Cooper Hoffman et Alana Hame rayonnent, flirtent au fil de sarcasmes et des entreprises de matelas ou de flippers, courent dans les rues d’un Los Angeles ensoleillé, conduisent des camions en marche arrière. C’est la naissance perpétuelle de l’amour qu’Anderson étire dans de longs travellings qui convoquent les décors de sa propre enfance.

Et toujours ce double mouvement, de l’intime au monde, du monde à l’intime. Les jeunes gens amoureux se découvrent au milieu des adultes, d’un capitalisme financier désinhibé qui se heurte de plein fouet au premier choc pétrolier. Parce qu’ils sont jeunes, ils ne s’aiment pas encore entièrement et doivent épuiser différents prétendants, comme un vieux cabot englouti dans ses anciens rôles (l’occasion d’une apparition géniale du génial Sean Penn), et les expériences personnelles comme le business des matelas à eau. Le récit prend une forme épisodique faisant apparaître des figures adultes grotesques et extrêmes dont le coiffeur de Barbra Streisand interprété par un Bradley Cooper déchaîné. L’amour, rafraîchi, lumineux, virevoltant, naît constamment au rythme d’une bande-son grandiose (Sonny & Cher, David Bowie, Paul McCartney, Nina Simone) et au nez de son devenir absurde, d’une Amérique décomplexée et excessive.

Jamais un film n’aura aussi bien libéré « le temps de l’amour, le temps des copains et de l’aventure ». Le Paul Thomas Anderson le plus intime, le plus doux, le plus merveilleux.
Timothée Wallut
Licorice Pizza est actuellement au cinéma. Découvrez la bande-annonce ci-dessous :
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