Pourquoi le choix de Titane pour les Oscars est une erreur

Lecture 3 min.

1 – Parce qu’il est moins bon que ses concurrents 

Titane fait la course aux côtés de l’ultra primé Asghar Farhadi et son film Un héros, de la sensation Julie (en 12 chapitres), sérieux concurrent du norvégien Joachim Trier, ou de La Main de Dieu, de Paolo Sorrentino, lui aussi habitué de la compétition, ou encore Compartiment n°6, Grand prix à Cannes cette année venu de Finlande et Drive My Car, film fleuve largement plébiscité par la critique. Titane fait figure de petit Poucet face à ces mastodontes taillés pour les Oscars car juste assez consensuels pour séduire les votants de l’Academy. 

Surtout, Titane est moins bons que ses concurrents. Le film de Julia Ducournau est un beau geste de cinéma de genre, c’est indéniable. Mais le film s’égare dans de trop nombreuses pistes narratives qui ne s’accordent parfois que très peu. Ducournau veut parler de beaucoup de choses mais elle ne dit finalement pas grand chose, si ce n’est rien. Après le succès de Grave, la réalisatrice a perdu le cadre, elle ne sait plus vraiment où elle va, ni ce qu’elle veut raconter. De ce fait, elle se contente d’aligner les scènes choquantes dans un film qui ne progresse que très peu narrativement. Plus aucune surprise après l’arrivée du personnage principal chez Vincent Lindon. Ce retournement donne juste l’occasion à Ducournau de rajouter des pistes à son film qui ne seront in fine jamais exploitées. Finalement, est-ce un film sur l’identité, sur l’inceste, sur la paternité, sur les monstres, sur la folie, sur les effets secondaires d’une plaque de titane sous le crâne ? Il est probable que même la réalisatrice l’ignore. Esthétiquement très impressionnant, le film n’est que poudre aux yeux, clivant sur le fond, brouillon sur la forme, l’espèce ultime de l’esbroufe gore qui ne méritait certainement pas la Palme d’or. 

Ses concurrents directs eux sont des modèles dans leur genre : le film de Farhadi, très classique sur la forme, dévoile un scénario implacable qui fait montre d’un sens de l’écriture inaltéré de la part du cinéaste iranien. Julie (en 12 chapitres) est un bijou de modernité autant qu’une bouffée d’air frais dans sa représentation des relations amoureuses. Drive my car est un drame envoûtant et intime, précis et ultra cohérent. La Main de Dieu est un hommage sensoriel et mémoriel émouvant à la jeunesse napolitaine de Sorrentino. Enfin, Compartiment n°6 est un drame très juste, sur la rencontre entre deux âmes seules qui s’entraident, sans mélodrame inutile. Titane quant à lui, une fois le choc passé, ne vous laisse que l’impression d’avoir assisté à un beau spectacle choquant dont on ne retient pas grand chose, contrairement aux autres. Même s’il était sélectionné donc, le film ne ferait probablement pas le poids face à ses concurrents, solides, précis et taillés pour la compétition. 

2 – Parce qu’il ne correspond pas vraiment aux standards de l’Academy 

Il serait probablement injuste de dire que l’Academy des Oscars est totalement prévisible dans ses choix. Le fait est qu’en dehors de la surprise Parasite il y a deux ans, les choix effectués par ses membres sont la plupart du temps non seulement attendus mais aussi extrêmement consensuels. Dans les derniers films primés, on trouve Drunk de Thomas Vinterberg, Roma d’Alfonso Cuaron, Le Client de l’iranien (en lice cette année) Asghar Fahradi, La grande bellezza de l’italien (aussi en lice cette année) Paolo Sorrentino, Le Fils de Saul de Laszlo Nemes ou encore Amour de Michael Haneke. De très bons films, maîtrisés, succès critiques internationaux mais surtout extrêmement attendus dans la catégorie.

Rappelons ensuite que la dernière victoire française dans cette catégorie remonte à 1993, avec l’ultra académique Indochine de Régis Wargnier, une fable colonialiste destinée à séduire les membres de l’Académie. Et si l’Académie s’est depuis fortement politisée, sous la pression populaire mais aussi des membres de l’Académie et des acteurs eux-mêmes, notamment suite aux récents scandales quant au manque de diversité, on ne peut dire que Titane soit un choix marquant de ce point de vue là. Si tant est qu’il y ait un propos intéressant sur le genre dans le film, encore faudrait-il que celui-ci soit lisible. Lorsqu’on se penche sur les derniers films français ayant atteint la short list finale (Un prophète de Jacques Audiard, Entre les murs de Laurent Cantet ou Les Misérables de Ladj Ly), on y voit un cinéma politique et percutant, limpide et aiguisé, loin donc la bouillie thématique que nous offre Titane. Le film du Ducournau entretient, sans doute involontairement, une ambiguïté quant à son véritable propos, ce qui le disqualifiera probablement aux yeux des votants. 

3 – Parce que L’Évènement avait toutes ses chances

Dans le trio final dégagée par la commission française, on trouvait l’immonde Bac Nord, fort heureusement écarté, Titane, la Palme d’or 2021, et L’Evènement, Lion d’or de la même année. Le choix de Titane, audacieux sur le papier et volontiers justifié par les bons chiffres (à relativiser toutefois) du film au box office US, est en fait une erreur stratégique majeure dans la course aux Oscars. En effet, dans le contexte de politisation accrue et probablement opportuniste des Oscars, envoyer un film tel que L’Évènement était une évidence. Pour rappel, le film d’Audrey Diwan, adaptation du roman d’Annie Ernaux, raconte la quête d’émancipation sexuelle et l’avortement clandestin d’une jeune française dans les années 60. Un sujet et un parti pris foncièrement politique, pour un film au destin tout tracé jusqu’à l’Oscar du meilleur film international. Compte tenu de l’actualité législative américaine, comme cette loi texane ayant réduit à néant ou presque les possibilités d’avortement, mais compte tenu aussi de l’orientation politique plutôt libérale et démocrate des Oscars, le film d’Audrey Diwan aurait probablement survolé la concurrence jusqu’à la récompense suprême. 

Alors pourquoi avoir choisi Titane ? Certains professionnels, tels que la journaliste de Variety Elsa Keslassy, n’ont pas hésité à pointer du doigt la présence de Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes, dans le comité de sélection finale. Un potentiel conflit d’intérêt qui pourrait expliquer le choix surprenant de Titane, Frémeaux espérant réitéré l’exploit de Parasite en 2019 qui avait cumulé Palme d’or et Oscar du meilleur film international, sans compter l’Oscar du meilleur film tout court. Quoi qu’il en soit, pour les professionnels du milieu, la France s’est clairement tirée une balle dans le pied en choisissant Titane face à l’insubmersible film d’Audrey Diwan. 

Ci-dessous, l’avis de Dimitri Rassam, producteur français, Elsa Keslassy, journaliste chez Variety, et Cédric Succivalli, responsable de la sélection « Giornate Degli Autori » à la Mostra de Venise.

Pourquoi Titane pourrait quand même s’imposer ? 

Parce qu’il ne faut pas négliger l’influence (ni le pouvoir de nuisance) de Thierry Frémeaux et par extension du Festival de Cannes. Les Oscars sont aussi et surtout une campagne de pub, et celle lancée par la France semble être plus qu’agressive, surfant comme pour Grave sur le pseudo caractère insupportable du film et l’excellent bouche-à-oreille d’un public en manque de sensations. 

Exemple de la campagne de pub en faveur de Titane dans Variety

Mais aussi parce que les Oscars nous ont prouvé ces dernières années qu’ils pouvaient aussi faire de très mauvais choix, par intérêt, stratégie, ou simplement par bêtise (cf Black Panther). 

Réponse le 8 février à l’annonce des nominations. 

Mathias Chouvier

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