Too old to die young : le magnifique raté de Nicolas Winding Refn

Grosse effervescence lorsque Nicolas Winding Refn, alias NWR comme il le sigle lui-même, avait annoncé sa série à venir. Too old to die young, distribuée par Amazon Prime, avait même eu les honneurs d’une projection à Cannes (épisodes 4 et 5), plutôt bien accueillis par la critique. Les espoirs étaient immenses, tant le cinéaste avait su réjouir par le passé (Drive ou The Neon Demon, pour ne citer qu’eux). Son style très marqué, avec une identité visuelle forte, nous laissait espérer une série sombre et intense, teintée de violence et esthétiquement irréprochable. Si la carrière du danois n’est pas sans faux pas tout de même (l’exténuant Only God forgives par exemple), son projet sériel faisait naître une excitation non dissimulée.

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Et puis, plus rien. En effet, la série est disponible depuis bientôt un mois, et rare sont ceux qui en parlent encore. Comment expliquer ce silence radio, ce « non buzz » ? L’explication est d’une simplicité déconcertante : Too old to die young (abrégé TOTDY pour s’épargner du temps) n’a pour ainsi dire aucun interêt. La série raconte l’histoire d’un flic à Los Angeles (Miles Teller, qui fait du mutique à la Ryan Gosling) croisant le chemin de plusieurs autres personnages (des membres de cartel, des femmes, Alec Baldwin…) alors qu’il s’enfonce dans le bas fonds de la ville et de la légalité après le meurtre de son coéquipier. Si le scénario n’a jamais été le fort de NWR, c’est peut-être la première fois que le vide intersidéral de son intrigue pose à ce point problème. Mais la série n’a pas que ce défaut, malheureusement.

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Commençons par ce qui fonctionne à peu près dans la série, ce sera plus rapide. Il y a tout d’abord l’esthétique, si artificielle mais irréprochable du cinéaste danois. Refn aime rappeler qu’il a un style, une patte, et il ne se prive pas de le faire dans les 10 épisodes qui composent la série. Chaque plan ou presque est d’une beauté à couper le souffle. La réalisation, comme la photographie, sont très soignées. Comme toujours chez Refn, la bande originale délicieusement électro envoûte le spectateur et le plonge dans une ambiance particulièrement réussie. Les acteurs sont globalement au niveau de ce que l’on attend d’eux, et il faut saluer la prestation de Miles Teller, que l’on peut parfois croire mort tant il maîtrise l’immobilisme à la perfection. Côté positif, il y a aussi le fait que Refn ait su exploiter toutes les nuances des personnages féminins, ce qu’il n’avait jusque là jamais fait. Pouvoir développer toute une galerie de portraits lui évite de tomber dans les caricatures féminines qu’il nous sert habituellement, et cela mérite d’être souligné. Voilà, un paragraphe sur ce qui ne cloche pas dans cette série. C’est tout ce qu’elle mérite.

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En effet, tout le reste sonne faux. Même les points qui semblent positifs, pris hors de leur contexte, finissent par desservir l’oeuvre. Tout d’abord, en ce qui concerne la réalisation, Refn pousse le curseur de son style au maximum (comprenez MAXIMUM) avec des plans étirés à l’extrême et des ralentis tout bonnement insupportables. La caméra bouge avec la lenteur d’un employé des finances publiques. L’effort demandé par le danois est quasi surhumain. Le style de Refn, si sublime et haletant au cinéma, devient particulièrement indigeste en série, puisque de fait il est étiré sur 13 longues heures. Là où la lenteur était contrebalancée par la violence dans Drive par exemple, ici toute émotion forte est diluée dans un océan d’ennui. On regarde le temps restant d’épisode toutes les quatre minutes environ. Il se peut que la réalisation ait été plus prenante au cinéma, mais devant sa télé on reste malheureusement de marbre.

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Autre problème : le scénario. Nous l’avons déjà dit, Refn n’est pas un écrivain de génie. Un post-it suffit souvent pour résumer la plupart de ses films sans omettre de détail essentiel. Oui mais voilà, Refn parvient la plupart du temps à justifier ce minimalisme en utilisant l’excuse du fameux « geste épuré », et force est de constater que souvent on accepte volontiers son excuse. On pardonne à Refn le manichéisme latent ou l’imagerie parfois grossière de certains de ses films. Mais ici, il rajoute une bonne grosse dose de remplissage, comme le ferait un plâtrier débutant, et comble les trous de son arc narratif avec des discussions ou passages insipides que toutes les « intentions artistiques » du monde ne sauraient justifier. De ce fait, les défauts que l’on occultait de bon coeur dans son cinéma n’ont l’air que plus importants, plus problématiques. Mention spéciale à cette scène de discussion entre les membres du cartel (mise en forme comme la Cène de De Vinci), risible tant elle sonne faux.

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Finalement, le vrai problème de la série tient peut-être à la personnalité-même du danois. S’il ne s’est jamais caché de son arrogance, rarement jusque là celle-ci avait été aussi perceptible dans son oeuvre. Ceci dit, on aurait pu sentir l’entourloupe venir. Refn, avant même la diffusion de TOTDY, avait en effet annoncé qu’il allait révolutionner le monde des séries, renchérissant ensuite en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une série mais d’un long film de 13 heures. Il a donc découpé les épisodes de manières aléatoires, ceux-ci durant tantôt 1h30, tantôt 30 minutes à peine, en pensant peut-être que cela participerait à la révolution promise. Refn débarque donc avec ses gros sabots, le torse bombé d’orgueil, avec l’idée que faire fi des règles des séries fera de la sienne un chef d’oeuvre instantané. Il signe chaque épisode de son sigle, sa marque, NWR, voulant ainsi que chacun sache Nicolas Winding Refn a révolutionné votre façon de regarder des séries à tout jamais.

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Mais patatras ! La révolution n’est pas là. Pire, la qualité n’est pas là ! Refn échoue là où David Lynch avait réussi avec Twin Peaks. Comment expliquer cet échec ? Lynch lui n’avait pas pour but de transformer quoi que ce soit, mais plutôt l’intention simple, presque pure, d’apporter sa pierre à l’édifice, tout en restant fidèle à ce qu’il est. Il ne savait pas que ce qu’il faisait changerait le paysage télévisuel à jamais, alors que Refn était venu dans l’intention précise de le faire. Son arrogance, probablement alimentée par les récents succès critiques, lui aura fait croire naïvement que le simple fait de casser les codes suffirait à accoucher d’une oeuvre majeure dans l’histoire de la télévision. Seulement voilà, cette intention biaisée vouait à l’échec le projet du danois dès sa genèse. Refn prend le spectateur de haut, et lui enfonce la tête dans son oeuvre pensant que son aura suffira à les faire rester. Ce que le cinéaste n’a pas compris, c’est qu’avec l’offre pléthorique en matière de séries, plus personne n’est prêt à s’infliger 13 heures de souffrance, même pour un si grand nom du cinéma que celui de Refn.

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Le seul intérêt de regarder jusqu’au bout est ici de savoir si Refn s’est planté jusqu’à la fin. On soupçonne même Refn d’être un vile manipulateur, puisqu’il n’aura montré à Cannes que les épisodes 4 et 5 de sa série, étant précisé qu’il s’agit des épisodes les plus classiques, donc réussis, de la série, dans le but probable d’obtenir de bonnes critiques et d’attirer le spectateur. Mais malgré toute la bonne volonté du monde, difficile de voir dans cette série autre chose qu’une redite grossière de la filmographie de Refn, boursouflée, indigeste et pédante.

Finalement, regarder Too old to die young, c’est un peu comme traverser la Manche à la nage, ça semble faisable mais on préfère quand même passer notre tour et prendre le ferry. Espérons que cet échec donne à notre ami danois une petite leçon d’humilité. Merci mais non merci.

Mathias Chouvier

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