Guillermo del Toro, habitué des films de monstre revient en 2018 avec une fable poétique et visuellement aboutie, mais qui pêche par un scénario sans sel.
La Forme de l’eau nous conte l’histoire d’une femme de ménage muette qui part à la rescousse d’un monstre aquatique retenu captif dans le labo ultra secret où elle travaille, au coeur de l’Amérique des années 50. L’ensemble est donc saupoudré de racisme décomplexé, de patriarcat tyrannique et de taupe russe.
Un scénario sans vague.
Le film, à mi-chemin entre Sauvez Willy et Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (Jeunet apparaît comme une influence majeure de Del Toro) est une fable sur les parias, qui subit de plein fouet toutes les limites de son genre. Le premier et principal défaut du film est un script qui laisse peu de place à la surprise ou à la nuance. L’histoire avance guidée par des rails de fers, immuables, et s’arrête à toutes les stations annoncées. La gentille muette ignore la différence physique et aide le gentil monstre opprimé par le méchant monsieur en costard noir. On ajoute des personnages secondaires monolithiques et des situations téléphonées, et on obtient le scénario un peu faiblard de ce dernier Del Toro.
Le Grand Bleu avec des écailles noires.
Mais si les films n’étaient que leur scénario, la Warner vendrait des livres, et il faut reconnaître que La Forme de l’eau demeure un très bon film malgré tout. Et c’est surtout grâce à un travail visuel remarquable, que ce soit à la lumière (Dan Laustsen en directeur photo, avec qui il avait déjà travaillé sur Crimson Peak), qui participe à rendre l’atmosphère anxiogène pour nos marginaux de protagonistes.
Cela met parfaitement en exergue les décors : du labo claustro trop grand et trop froid, à l’appartement à briques apparentes sous les combles au dessus d’un cinéma. Le film repose d’ailleurs beaucoup sur l’utilisation d’effets “en dur”, en témoigne le maquillage de la créature, qui aurait très bien pu être en images de synthèse. Mais Del Toro est un habitué de l’exercice (on se rappelle le Pale Man du Labyrinthe de Pan et Pearlman en Hellboy) et un grand amoureux de cette approche artisanale du cinéma. Au vu du résultat, impossible de lui en vouloir.
Aux artifices visuels vient s’ajouter un casting impressionnant, que ce soit par le physique atypique de ses acteurs ou par la qualité de leur jeu. Impossible de passer à côté de Sally Hawkins, malingre et décharnée, mais c’est pourtant Michael Shannon qui vole la caméra, au point de rendre crédible et mémorable son personnage pourtant au combien caricatural. Et ce aussi bien grâce à des dialogues aux petits oignons (“Un homme ça se lave les mains avant ou après avoir fait ses besoins. Jamais les deux, ça dénote un manque de caractère”) qu’à une performance d’acteur d’une belle intensité.
Poissons : sexualité débridée. Attention aux coups de dents.
Enfin, le film détonne par un aspect cru et graphique, inattendu de la part de l’auteur comme du genre dans lequel il inscrit son oeuvre, réalité qui s’exprime dès la scène d’ouverture avec une masturbation féminine montrée sans détours. Cela place d’ailleurs La Forme de l’eau dans une situation un peu gênante, puisqu’il est clairement trop explicite pour le public traditionnel du conte, mais qu’il est vraiment trop candide pour les plus âgés. Mais à qui donc s’adresse Del Toro ?
La question se pose d’autant plus que le film déborde littéralement de symboles et de métaphores visuelles. Il n’y a pas un plan sans un détail lourd de sens. Et si toutes ne sont pas subtiles, certaines n’ont un sens qu’avec une connaissance au moins sommaire des codes de l’iconographie américaine. La famille de Shannon, tout droit sortie d’une affiche de propagande ou d’une réclame pour les Jelly-o, avec ses enfants blonds, sa mère au foyer et une lumière douce qui illumine le table se pose en parfait exemple. Le film est sans surprise très critique vis-à-vis de la société américaine, et dénonce des problèmes, encore d’actualité aujourd’hui comme l’asservissement par le salariat, le consumérisme et, évidemment, le rejet du marginal, quelque soit sa forme. En revanche, si le film est fécond à la réflexion, tous les symboles qu’il utilise semblent aller dans le même sens, pour appuyer le propos au lieu de le nuancer, ce qui accentue hélas davantage le côté prévisible du métrage.
Rupture de thon
Le résultat final est un film riche et généreux, audacieux visuellement, mais qui ne parvient jamais à profondément marquer le spectateur à cause d’une écriture aussi plate qu’une mer d’huile. Et c’est d’autant plus regrettable, puisqu’à la place d’un monument du cinéma de monstre moderne, on se retrouve avec un joli film sur la différence.
Martin Prost