En tant qu’Assassien assidu, il m’était impensable de manquer Le Brio. Je suis allé jeter un œil au dernier film d’Yvan Attal, avec Daniel Auteuil & Camélia Jordana dans un duo professeur-étudiante.
Il y avait de quoi appréhender, car récemment, Yvan Attal a eu du mal à trouver son public. Ses derniers succès remontent à Ma femme est une actrice (2001) et Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants (2004).
C’est un metteur en scène qui aime faire sauter les clichés avec un bâton de dynamite. La démarche est sympa, le résultat parfois chaotique. Forcément, quand il s’attaque à notre belle Assas, naviguant avec un scénario sur le flot du vivre ensemble, on flippe.
Et pourtant ! En réalité, Le Brio est un joli objet cinématographique, dans un emballage un peu froissé.
Le pitch est simple. Neïla Salah (Camélia Jordana) débarque de Créteil en L1 de droit à Assas. Elle arrive 5 minutes en retard pour son premier cours, se fait épingler par le professeur Pierre Mazard (Daniel Auteuil) devant le regard interloqué de 2000 MacBooks. Habile, elle se dit que c’est une bonne idée de lui répondre. Habile, il se dit que c’est une bonne idée de la vanner sur ses origines. Et là c’est la révolution, les MacBooks sortent leurs iPhones pour filmer le prof en plein délit de faciès. Le tout atterrit sur Facebook. Facebook montre ça au président de la fac, qui montre ça au prof, qui l’avait déjà vu puisque c’est lui sur la vidéo. Ouf.
Le prof doit finir en conseil de discipline, mais comme c’est pratique pour l’intrigue, le conseil de discipline aura lieu en juin alors que les faits se sont produits en octobre. Profitant de cette pirouette, il prépare l’étudiante qu’il a offensée au concours national d’éloquence pour s’amender.
Clash Contenders au pays du droit
Mieux vaut ne pas s’attarder sur les concours d’éloquence en eux-mêmes. Neïla Salah n’est pas un étalon de l’éloquence. En tout cas, pas au point d’être en finale d’un concours national. Nos amis de Lysias, Révolte-Toi ou Assas Insolent s’arracheront les cheveux devant la médiocrité des plaidoiries de tout bord, on n’est pas loin des joutes de Brice de Nice mais avec le bâtonnier Marc Bonnant en jury et les sénateurs en spectateurs.
Au-delà des concours, sa progression est marquée par son attitude physique (elle découvre le peigne, la chemise en jean) et orale, avec la fameuse scène où elle convainc ses potes qu’elle n’est pas le loup-garou grâce à son remarquable usage des mots de plus de deux syllabes.
En gros, le Assas du film c’est pas le vrai Assas. Est-ce vraiment important ? Bof. Rares sont les objets audiovisuels qui rendent honneur au domaine qu’ils mettent en scène. Que ce soit la médecine (je vous promets dans Grey’s Anatomy ils devraient être tous morts les patients), la police, etc. Le contexte ne doit pas être confondu avec le propos du film. Le contexte doit le servir, le perméabiliser. Il est nécessaire de le vulgariser. Yvan Attal veut avant tout nous montrer que Neïla progresse, qu’elle en veut, qu’elle s’arrache.
Regarde maman, c’est ma fac
J’en profite pour poursuivre cette digression sur Assas justement. Okay, l’objet du cours de Pierre Mazard est incompréhensible (Baudelaire en droit ?), mais contrairement à ce qu’on peut lire sur Spotted, l’image dégagée de la faculté n’est pas particulièrement accablante. Pierre n’est pas un salopard raciste, c’est un salopard tout court. Il s’en prend à Neïla, mais aussi au sidekick « blanc comme un bidet », à l’aimable bourgeoise qui promène son chien, au vigile, aux étudiants. Il a le mérite d’être odieux avec tout le monde, sans distinction. D’ailleurs, lorsqu’il tacle notre héroïne, il se fait immédiatement épingler par tout l’amphithéâtre qui dénonce ce racisme honteux, alors que lui se contentait de sa vanne quotidienne pour meubler son existence solitaire.
Autrement dit, c’est le seul personnage d’Assas –dans le film- qui tient des propos borderline. Il y a bien un autre petit con, lors du concours national, mais il vient d’une autre université.
S’agissant de l’accusation de non-mixité délibérée du film… Hélas, les figurants proviennent tous d’Assas (certes choisis par le directeur de casting). Ce serait se leurrer que de prétendre que le cursus juridique d’Assas présente une mixité ethnique aussi diverse que ceux de Nanterre ou même La Sorbonne (notez que j’en ai bien vu un ou deux qui avaient l’air un brin hispanique).
Finalement, je me suis même pas mal amusé à remarquer les différences entre ce que le film décrit et la réalité de la vie universitaire (mention spéciale au cocktail organisé avec le Président de la fac en l’honneur de la petite L1, à quand la légion d’honneur ?). On peut jouer à chercher son pote parmi les 2000 figurants ou envier l’étudiante de 18 ans qui mobilise le doyen de sa faculté tous les jours à 9h pour qu’il lui lise du Schopenhauer.
Le mieux, c’est que ça marche
C’est dommage de s’arrêter sur ces détails alors que, malgré la facilité de ses intrigues, Yvan Attal angle son propos avec beaucoup d’originalité. Il ne s’agit pas d’une banale réconciliation entre deux personnages que tout oppose. La réconciliation est actée dès la 20e minute. Ensuite, il s’agit de s’accepter, d’avoir de l’empathie. Une fascinante relation entre un maître et son élève, qui se retrouvent dans le désir de progresser et de transmettre. Camélia Jordana est d’un naturel saisissant, maitrisant son personnage troublé, impulsif mais désinvolte. Daniel Auteuil est tout aussi agréable à suivre. Misanthrope, seul, amer, c’est surtout un ponte de l’éloquence (en ce qui le concerne, on y croit), il ressemble à ces professeurs joyeusement sarcastiques et dérangeants. Vous savez, ce genre de prof qui fait rire tout l’amphi lorsqu’il vous affiche. Une sorte de Martin Collet, en moins aérien (on me dit dans l’oreillette que Mazard est inspiré de Mazeaud).
Le Brio brille finalement par sa mise en scène soignée et pétillante au service d’un excellent duo d’acteurs. Une petite tranche de vie tantôt gentillette tantôt pugnace, assez savoureuse. Ça fonctionne, tout simplement.
Pierre-Alexis Bertrand
Un commentaire